mardi 16 juin 2009

Un village bougonnait
Il était une fois un village qui bougonnait. Tout chez lui bougonnait ! Les indigènes de souche ainsi que les pièces rapportées bougonnaient. Les quadras, ceux que les langues de vipères appellent les bobos, bougonnaient. Les aînés pas encore ramollos bougonnaient ! Les rivières bougonnaient aussi ! Depuis que des saigneurs de la terre avaient pris l'habitude de déverser des tonnes de carottes en décomposition sur leur berges. Depuis que les matières grises de la Nomenklatura locale décidèrent de supprimer le patronyme du ruisseau d'ici pour le remplacer par un mot bien plus vendeur et banal. La Belle n'est plus, voici venu le mot « Périgord ». Bougonnaient aussi les vieilles pierres. Celles du château ou des cluzeaux. Il faut dire qu'elles avaient beau être taillées dans de solides blocs de calcaire et être dépourvues d'épiderme elles n'en avaient pas moins une sensibilité à fleur de mousse. Et là, elles en avaient ras le silex ! Elles qui avaient tout connu depuis des millénaires, elles étaient traitées comme de vulgaires tables en formica. Méconnues, mal entretenues, abandonnées... elles souffraient et bougonnaient !
Et savez-vous ce qu'il advint pendant que le bougonnement battait son plein? Une crise. Pas une petite crise de rien du tout, une vraie ! Mondiale ! Une crise qui balaya les Tigres asiatiques, les intouchables Ricains, la vieille Europe et même les compatriotes de Bjork, sans parler des contrées qui sont balayées depuis qu'elles sont contrées... celles du Sud ! Bref, une crise qui de l'avis de tous les observateurs un brin dégourdis devait mener à une nouvelle gouvernance... comme disent les élites de la France d'en haut ! Fini le gaspillage des énergies, terminés les déchets à gogo, ratiboisé le culte de la sesterce folle, éliminés les saigneurs de la terre et leurs carottes, lapidés les parachutistes dorés, écrabouillés les guignols en costards avec leur greffe d'oreillette et le sourire carnassier, anéanties les vieilles recettes des années 80...

Alors, vive la crise se sont dit les vieilles pierres, les foufous et les pas ramollos. Le village allait profiter de l'écroulement de la jungle interplanétaire... tous en étaient convaincus ! Ce serait long et peu rigolo mais l'expérience valait le coup d'être tenté, non ? Et c'est alors, mesdames et messieurs, lady et gentilhomme, que les matières grises sus-nommées prirent deux décisions qu'elles jugeaient judicieuses et pertinentes. Deux actes forts et symboliques, rigoureusement dans le sens de l'histoire, absolument pas marqués par les vielles lunes du passé. Deux gestes selon elles savoureux : relancer l'activité économique en goudronnant et bétonnant l'entrée du village jusqu'à ce qu'une grande surface « paysagée » vienne sauver les habitants de la famine ; faire cavalier seul dans la course à l'éco-tourisme, la valorisation du patrimoine et la résurrection de la culture locale ou métissée en se privant de ses voisins : vade retro satana vous autres communautés de communes, de l'ail pour les habitants du parc naturel régional, Bhouuuu les Zautres quoi ! Les matières grises du village décidèrent en leur âme et inconscience d'affronter seules les vents contraires et les grandes marées. Quel courage de façade ! Pourtant le village bougonnait ! Il bougonnait devant l'étonnante manœuvre de gouvernail effectué par l'équipage. Une partie, marginale mais réelle, de celui-ci s'était déjà mutinée. Peut-être un jour allait-elle être mutilée mais avant de connaître la défaite, cette marginale équipée de bric et de broc s'en prenait aux Nomenklaturistes.
Il était une fois un village qui ne voulait pas voir agoniser ses commerçants, un village qui ne voulait pas voir les douves de son château transformées en station-service et en locales à poubelles à tri sélectif, un village qui ne voulait pas s'isoler des Zautres ! Était-ce un pêché laïque que de vouloir cela.

Il était une fois un village,
Il était une fois une partie d'un village,
Il était une fois une poignée de villageois,
Il était une fois un bobo... comme ils disent... comme dit Charles Aznavour,
Qu'importe le nombre, pourquoi même excessivement minoritaire un bobo ne pourrait-il pas affirmer son opinion et ses convictions. Et puis, plus on est de bobos plus on rit, plus on construit, plus on résiste, plus on phosphore, plus on convainc...
Il était une fois un village qui bougonnait.. Tout chez lui bougonnait !

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire